Malgré le confort offert par notre contrôleur de wagon, qui a fait de son mieux pour que nous ayons chacun un box au lieu de le partager avec six autres voyageurs, un oreiller et un drap, je n’arrive pas à me rendormir. Heureusement que j’adore les longs voyages solitaires en train. En route vers l’inconnu, je regarde par la fenêtre, je peux vivre dans ma tête et les étoiles, j’imagine à quoi ressemblera ce nouveau pays, les gens seront-ils aussi gentils qu’on le dit… Les heures défilent, et nous voilà bloqué. Le piteux réseau ferroviaire turque n’étant plus utilisé, nous changeons de moyen de transport, c’est donc en bus que je débarque à Istanbul.
Lors de ce transfert, le contrôleur me demande si j’ai de la monnaie sur 200 euros ?! Je ne sais pas si j’avais déjà vu la couleur jaune de ce billet en France. Je me demande encore comment il l’a obtenu, nous avons traversé la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie, soit trois pays qui n’ont pas l’euro pour devise…
J’arrive dans le quartier historique de Sultanahmet, c’est le souk mais pas celui auquel vous pensez. Non, nous ne sommes pas dans un pays arabe, le souk que je décris est le chambard ! Il y a du bruit, difficile de se faire entendre au milieu des klaxons, alors c’est à celui qui crie le plus fort. La foule déborde de vie, mon nez et mes papilles s’émerveillent à chaque coin de rue devant l’odeur de toutes ces épices, mais les 18 kilos sur le dos et la chaleur me rappellent à mes priorités, je dois trouver mon hôtel.
Je me dirige vers l’office du tourisme pour demander une carte de la ville et la position exacte de mon auberge. Ce matin, je ne suis pas le premier à avoir eu cette idée. La ville est pleine de touristes, j’en veux pour preuve la longue queue qui déborde de l’office. Malheureusement, la qualité du service est déplorable. La personne me donne un mauvais emplacement, je passe trois heures à tourner en rond dans les rues en pente d’Istanbul. Malgré la bonne volonté des gens souriants, les rues tortueuses et sinueuses de la ville n’aident pas à trouver un hôtel mal indiquée.
Cette première expérience avec la rue d’Istanbul peut paraître négative, il n’en est rien. Çà m’a permis de ressentir cette sensation, la sensation que çà grouille dans les entrailles d’un monstre géant ! Un monstre à deux pattes, une sur chaque continent, l’Europe et l’Asie. Qui y a-t-il de mieux pour exprimer la dualité d’un peuple venant d’Asie mineure et centrale posé sur une terre d’Europe que le visage d’un turc ? Ce visage aplati, carré aux bords arrondis, des yeux légèrement bridés mais une pilosité typiquement méditerranéenne.
La ville est bien plus complexe que cette division entre deux continents, c’est aussi une ville de confrontation entre deux générations, la jeunesse rebelle et créative face à une arrière garde très religieuse. C’est également deux quartiers perchés sur leur colline qui se partagent les touristes avec leurs histoires différentes, celle de l’ancien temps avec ses mosquées, ses palais et ses bazars dans le quartier de Sultanahmet, celle de la modernité avec ses infrastructures et ses magasins dans le quartier de Beyoglu.
En attendant d’en découvrir plus, il est vingt heures vingt, le minaret résonne, le muezzin chante dans toute la ville, et moi je m’endors difficilement. Dans mes rêves, je croise « Annan » au Kebab. Mais ici, il n’y a pas de mouton, ni d’âne, seulement du poulet ou du bœuf dans un pain classique ! Bonjour Sandwich et au revoir Kebab ! Le döner kebab comme on l’entend en France est une petite déception en Turquie, mais c’est bien le seul raté au niveau culinaire.
Le début du séjour à Istanbul marque aussi la fin des illusions, je ne verrai pas la muraille de Chine. Pourtant elle se dresse devant moi ! Elle s’est exportée à travers le monde, malgré mes nombreux kilomètres entre le consulat français et Chinois, les blagues du policier narbonnais sur le rugby à Oyonnax n’y changeront rien, il n’y aura pas de visa pour moi !
Pour oublier ce désagrément, quand le soleil commence à tomber sur la ville, je me réfugie aux milieux des pêcheurs, avant de croquer un « Fish Bread » vendu sur les petits bateaux amarrés au pied du pont qui relie la modernité du quartier de Beyoglu au quartier historique de Sultanahmet. Ces sardines fourrées dans mon pain n’ont peut-être pas bouché le port d’Istanbul, mais les arrêtes ont du mal à passer le nœud que j’ai au fond de la gorge. En effet, Marjo vient de m’annoncer qu’elle ne pourra certainement pas venir me rejoindre en Turquie…
Ces derniers jours, mes nerfs sont mis à rude épreuve, alors je fais ce que je ne pouvais pas faire en Roumanie. Je me régale des petits délices de rues. L’indécision culinaire des turques me sied à merveille. Ils n’ont pas choisi entre le sucré et le salé, ils n’ont pas choisi à quelle heure manger, c’est quant tu veux, ce que tu veux et régale toi mon ami ! Entre un petit loukoum, une soupe de lentille, des meatballs, un ishlak burger, une soupe de tomate qui me rappelle la sauce pour quenelle que fait ma maman (sans les olives), les baclavas, j’en passe et des meilleurs, il n’y a que l’embarras du choix… J’en ai même oublié le nom de mon encas préféré, plusieurs couches de pâtes feuilletées avec de la viande hachée au milieu.(voir photo) Si quelqu’un connait le nom exact de ce mets qu’il se signale. Mais s’il tient vraiment me faire plaisir, qu’il m’en APPPORTE !!! Merci d’avance.
Dans la terrible rue Istiklal, qui mène de la Place Taksim à Tunnel, les visages défilent, j’avance, j’esquive, droite/gauche, un cireur de pompe, gauche/droite, un vendeur de glace traditionnelles, les cloches sonnent, je suis bousculé, pas eu le temps de profiter du regard émerveillé de l’enfant. A Istiklal, on n’a pas le temps, à tout heure du jour ou de la nuit, c’est marche ou crève ! (+1,2 millions de passants par jour sur une rue commerçante longue de 1,3km)
Si le ventre du monstre grouille, il est aussi tendu ces dernières semaines. Les gaz ne sont pas loin de revenir. Lors de la manifestation des égyptiens pro-Morsi, on sent la population à cran et prête à s’enflammer de nouveau. Il faut reconnaître que leur chant guerrier fait monter le frisson. Sans en comprendre un mot j’ai la chair de poule qui envahit mon corps comme cette envie de s’embraser pour tout renverser. Mais ces fous de dieu avec leurs drapeaux djihadistes, et leur femme aux regards grillagés me répugnent plus qu’ils me donnent envie de les soutenir. La Turquie, pays du révolutionnaire laïque Atatürk, est-elle entrain de suivre ce chemin, celui d’un islam radical prôné par son premier ministre, M. Erdogan ? C’est ce que je m’efforcerai de comprendre lors des prochains jours.
Pour cela, je mise sur Couchsurfing, et je vais me faire héberger sur la rive asiatique par Doreen. Il n’y a pas de feeling particulier avec cette canadienne arrivée en Turquie, dix ans plus tôt. C’est une hippie des temps modernes qui souhaite absolument tout positiviter. Elle ouvre sa maison à tout le monde, mais ne prend le temps de s’occuper que de son fils. Une future tête à claque ! Néanmoins sa maison est un havre de paix, avec sa musique relaxante et ses nombreux chats et chiens. Nous vivons à l’heure des animaux, on ne boit que de l’eau ou du lait dans cette demeure. Cela va de soit qu’on ne mange pas de viande non plus.
Finalement, la façon dont elle traite ses animaux est à l’image de la ville d’Istanbul. Un paradis pour les chats. Ils sont adorés de la population locale qui les gave et les laisse dormir partout. Je ne m’attendais pas à çà en venant ici. Le plus surprenant est de les voir donner à manger aux pigeons…
Dans les rues marchandes du quartier de Kadikoy, toujours sur la rive asiatique, je me sens plus à mon aise. Il y a de moins de touristes, c’est un paradis pour moi avec toutes ces librairies aux très bonnes références (J’ai notamment trouvé les BD d’Astérix traduites en turque). En plus de savoir que Marjo a trouvé un vol pour me rejoindre, le moral et l’envie de poursuivre le voyage reviennent quand j’achète une bouteille d’eau à un vieux monsieur courbé, usé par la vie. Terré au fond de sa boutique, il me sourit et lève doucement sa main pour me saluer.
Je profiterai de mes passages dans les librairies turques pour en apprendre un peu plus sur la langue de ce peuple accueillant. En effet, il y a de nombreux mots français qui ont été « turquisés ». Pas facile à remarquer au premier abord, mais lorsque l’on connait quelques règles de prononciation et qu’on s’amuse à lire à voix haute, on les devine facilement. A vous de jouer, sachant que ş = ch, ö = eu, ü = u, g = gu, que veux dire: Şoför, kuaför, şarküteri, aksesuar, gişe
Pour ceux qui n’ont pas réussi : Chauffeur, coiffeur, charcuterie, accessoire, guichet !
Les guichets, enfin ceux du stade Türk Telecom Arena de Galatasaray, je me demande bien à quoi ils servent. Dans une ville qu’on peut aussi résumer par ses clubs de foot et ses stades (Fenerbahce sur la cote asiatique, Besiktas pour les anars et les jeunes, Kasimpa au cœur de Beyoglu, Galatasaray partout dans la ville mais son stade au Nord), il était temps pour moi d’aller voir un match de football. Une fois au guichet pour acheter ma place, ils m’expliquent qu’ils n’en vendent pas au stade, seulement sur internet. Les joies de la modernité ! C’est donc au marché noir que je trouve mon précieux sésame.
Une fois dans le stade, le vol se poursuit. Les vigils pour des raisons de sécurité m’obligent à laisser ma monnaie dans une caisse. Heureusement que je n’avais qu’un lira et demi (50 centimes d’euro). Et dire qu’à l’intérieur des tribunes, ils vendent les fameux Ayran 2,5 lira. Comment faire pour en acheter sachant qu’il n’existe pas de billet de 0,5 lira ?! Néanmoins, le public ne faillit pas à sa réputation ! Il fait un boucan d’enfer pour ses joueurs qui viennent les remercier un par un pendant l’échauffement. Le stade tremble, les cœurs palpitent ! Et que dire de ce moment, où le stade entier se lève, d’un seul homme se met à chanter ce que j’imagine être « allumer le feu » en version locale. Les briquets ne sont pas de sorties, mais toutes les lumières de téléphones portables se mettent à briller dans les tribunes. Les joies de la modernité ! Superbe ! Le match n’est pas extraordinaire, même si nous avons droit à trois jolis buts. Je mettrai la prestation en demi-teinte de l’équipe championne par une chaleur écrasante. A 23h30, au milieu de la seconde période, l’arbitre siffle une pause… Fraîcheur !
Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps avec le foot, mais il est important de comprendre, que la ville vit au rythme des matches de ses équipes. Me balader dans les rues avec le maillot de Fenerbahce sur les épaules, m’a valu autant de taquineries, que de pouces levés. Ce fut un excellent moyen d’aller à la rencontre des gens. Ici, le foot est au cœur de tous les débats ! (Y compris politique avec le club de Besiktas)
Quant à Doreen, elle est toujours aussi absente, j’en profite donc pour faire la rencontre d’Alessaandro lui aussi hébergé et un peu dépité par la situation. En effet, la seule chose qui intéresse notre hôte est d’avoir confirmation de nos dates de départ, car un nouveau couchsurfeur est attendu. Elle ne souhaite pas que la maison soit overbookée. L’expérience tourne vraiment au « free hostel » mais s’éloigne du principe de partage que souhaite véhiculer couchsurfing. Dommage !
Pour vivre les expériences de partage avec la communauté CS, j’accompagne Alessaandro à une soirée organisée via le réseau social. Ce mec est génial, d’abord parce que c’est un grand fan de Jean Pierre Papin que son père connait très bien. Ensuite parce qu’il est tombé amoureux de l’Ecosse où il vit actuellement avec son tatouage du chardon écossais sur le mollet. L’entendre parler d’Edimbourg avec passion est une chance inouïe. Enfin parce qu’il est drôle malgré lui. En parfait italo-écossais, il essaye de draguer autant de filles qu’il descend de bières. Malheureusement pour lui, c’est un véritable casque bleu, il est sur tous les fronts mais il ne tire jamais…
Je profite de la soirée, pour en apprendre plus sur les révoltes turques. Entre une chanson de Stromae et Manau, je fais la connaissance de Nesli, une véritable féministe. Comme la majorité de la jeunesse stambouliote, elle était au cœur des manifestations. Même si la goutte d’eau qui a fait déborder le vase fut le projet du premier ministre Erdogan de raser le parc de Taksim pour en faire un nouveau centre commercial. Elle m’explique qu’à ses yeux, le gouvernement va trop loin dans sa radicalisation religieuse. Elle pense que le problème avec ces gens-là est qu’ils en veulent toujours plus. D’après elle, ils sont dans l’incapacité de respecter les autres car dans leur radicalisation, il n’y a pas de compromis, il n’y a qu’une seule voie possible : la leur ! Elle cite M. Erdogan pour appuyer ses dires : « impossible d’être sincèrement musulman et en même temps laïque ». Or la Turquie est un pays aux fondements laïques et sa jeunesse y tient. Le nom d’Atatürk et ses préceptes reviendront souvent dans les conversations. Elle regrette également la façon dont les médias locaux n’ont pas parlé des révoltes. Pendant des semaines ils ont préféré taire les incidents en diffusant des reportages sur les pingouins (devenu un des symboles de la révolte) alors que l’actualité mondiale était tournée sur Istanbul et ses émeutes. Elle est également déçu du comportement des médias internationaux qui ont fuit le pays dès que le feu et le sang ont arrêté de couler alors qu’il y a encore de nombreuses révoltes « pacifiques ».
-Mais pourquoi M. Erdogan est il systématiquement réélu ? La Turquie est un pays démocratique, çà veut donc dire qu’une majorité de gens sont d’accord avec lui…
-Le problème est qu’il a un très bon bilan économique. Et que de nombreux turques en total désaccord avec ses idées politiques préfèrent se taire car leurs affaires tournent mieux depuis qu’il est au pouvoir. L’exemple, le plus frappant, est toutes ces femmes en burqa ou nikab que tu vois dans la rue. Aucune n’est turque. Ce sont des femmes de riches touristes du Moyen-Orient qui viennent dépenser leur argent dans un pays amis d’un islam radical. C’est très récent et choquant pour nous !
La question est donc de savoir jusqu’où peut-on aller pour de l’argent ? Le peuple turc n’a pas encore fini de répondre à ce dilemme…
Moi je préfère voir le problème religieux illustré par Sainte Sophie, une église rénovée en mosquée où l’on peut apercevoir des petits jésus au milieu d’écriture arabe. Jésus, je l’ai rencontré, il s’appelle Daniel, c’est un anglais vivant à Paris. Assis sur la place Taksim au milieu des militaires omniprésents, avec les italiens et un jeune réfugié syrien, nous nous amusons à refaire le monde une bière à la main.
Cette nuit là, nous devons trouver une auberge avec Alessandro. Doreen a fini par nous demander si nous ne pouvions pas quitter la maison un peu plus tôt que prévu, ce que nous avons accepté avec un certain soulagement. Depuis je change d’hôtel tous les soirs car la ville est pleine de touriste. Un nouveau métier en perspective ? Testeur d’auberge pour un guide ? A méditer, mais je ne veux surtout pas faire partie d’un jury pour évaluer les bars. J’ai connu mon premier coup de Trafalgar lors du match Fenerbache/Arsenal. Le barman a imprimé la note de ma bière, écrit un montant derrière.
-Mais je n’ai prix qu’une bière, c’est deux fois trop cher ! M’exclamais-je
Pas eu le temps d’insister que cinq hommes se sont resserrés autour de moi. J’ai payé mes 10 liras et je ferais mon super héros un autre jour…
Avant de retrouver Marjo, je contemple les révolutionnaires de salon (le propriétaire du dernier hôtel). Il écoute du rock commercial à fond les ballons, et change la couleur de son bandana, celui avec l’étoile au front, en fonction de son survêtement. On ne badine pas avec l’accord des couleurs pour une révolution sur facebook.
PS : Pour ceux que çà intéresse un documentaire totalement partisan, au cœur des émeutes, http://www.youtube.com/watch?v=ObTndpWjhgg, un peu répétitif mais très instructif sur la façon dont les médias locaux ont gérés l’incident. Autre bémol sur mon apprentissage de la situation en Turquie, tous les jeunes sont prêts à parler de ce qui se passe, par contre impossible d’avoir un mot de la part du camp opposé… Frustrant !
Istanbul:
@Lucia : I hope when you will read my post about Népal you will want to go there !
But for the moment be patient…
You made me miss Istanbul with your stories
@Danièle F.: Wahou çà fait plaisir!
Je ne m’attendais pas à ce que tu suives mon périple. Merci pour ce petit mot.
La route a commencé doucement, mais depuis la Turquie, elle s’élève grandement, j’ai hâte de vous raconter tous çà, mais le temps me manque… (ce qui est bon signe!)
Bisous
@Les toulousains: Coucou!
Pour tout amateur de foot, Istanbul est la ville parfaite! Un vrai régal!
Pour les autres… çà peut tourner à l’indigestion!
Je vous embrasse.
Super mon petit KEVIN, profites de ces moments de bonheur.
Bonne longue route ….. Bisous
Coucou,
Même si la bière t’est restée en travers de la gorge,nous espérons que tu t’es régalé pour ce match.
Nous suivons ton périple régulièrement et nous t’embrassons bien fort