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Y a le feu sur le Gange !

// Après avoir perdu mes kilos à Delhi, si je dois laisser ma peau en Inde, autant le faire dans la ville qui ouvre directement les portes du Nirvana. Pas de panique, pour l’instant, les morts ont simplement pris feu sur le Gange ! Bienvenue à Vârânasî, également connue sous le nom de Bénarès, mais surtout mondialement réputée pour être la capitale spirituelle de l’Inde.

DSC02522 [800x600modif]Je prétendais vouloir essayer de comprendre l’incompréhensible de ce pays, je ne pouvais pas espérer meilleurs place que mon hôtel. Je ne peux pas ouvrir la fenêtre de ma chambre, sous peine d’avoir le nez plongé dans une fumée malodorante. Pour m’endormir, au dessus des ghâts, j’aurai le choix entre compter le nombre de singes attendant un passant pour lui piquer sa nourriture ou de façon plus morbide, pour être certain de faire des cauchemars durant mon sommeil, je pourrais compter le nombre de corps brulés sur les rives du Gange.

Fasciné par la mort, à peine arrivé, je suis attiré comme un aimant sur les ghâts. Étrange sentiment que de ne pouvoir s’empêcher de regarder la grande faucheuse dans les yeux. Je suis comme figé devant l’horreur, et pourtant je trouve çà beau. La scène est crade, l’odeur de fumée n’est pas aussi nauséabonde que je le craignais (le bois santal sur le bûcher doit y être pour beaucoup) mais aussi paradoxale que çà puisse paraître, la vie et la mort se mélange dans la joie sur des chants en l’honneur Râma.

-Pas de photos sur les ghâts !

DSC02541 [800x600modif]Pas de problème, çà m’évitera les cas de conscience en personnalisant la mort d’un inconnu. Un vieil hindou prend un peu de son temps pour me donner quelques détails sur le rituel de crémation. La famille porte le défunt sur une civière en chantant « Ram Nam Satya Hai » (Le nom de Ram est la vérité). Puis il dépose le corps près du Gange afin de laver le visage du mort avec l’eau sacrée du fleuve. Suivant la richesse de la famille, le bûcher sera plus ou moins près du fleuve, et plus ou moins composé de bois santal. Les proches du défunt déposent le corps inerte dans son linceul sur le bois avant de finir de le recouvrir avec d’autres morceaux. Un homme attitré (comme un prête pour les cérémonies religieuses catholiques), finit le cérémonial et met le feu au bûcher. Le bois s’embrase et les proches restent assis pendant plus de trois heures à fixer le corps se réduire en cendre pendant que l’esprit s’envole. Après une lutte infernale, la dépouille devenue poussière est récupéré par un proche qui la jette dans le Gange. La famille poursuit sa route sans se retourner, un sourire sans joie mais paisible sur leur visage. A cet instant, le vieil hindou me fait remarquer qu’il n’y a pas de femme. En effet, elles sont trop émotives et pleurent trop souvent. Or pour les hindous, la mort n’est pas une fin en soi mais le début d’un nouveau cycle pour le défunt. Il n’y a rien de triste là dedans, surtout qu’avec un peu de chance, sur les bords du Gange, le disparu trouvera le sommeil éternel en atteignant la Moksha ou la délivrance (l’équivalent du Nirvana bouddhique), c’est-à-dire la fin des cycles de réincarnation.

DSC02537 [800x600modif]Mais je ne dois pas oublier que je suis en Inde, et même dans le cœur de la spiritualité du pays, certaines choses ne changent jamais. Le vieil homme voudra m’emmener en ville pour acheter la spécialité de la ville… de la soie. Il me raconte fièrement avec ce racisme habituel comment les musulmans, qu’ils méprisent car à ses yeux ce ne sont que des intouchables convertis à l’islam, tissent la soie pendant que les hindous beaucoup plus éduqués tiennent le business en la vendant. Il n’arrête pas de me toucher le bras comme si nous étions les plus grands amis du monde en me demandant sans cesse de lui faire directement un don pour qu’il puisse acheter du bois santal pour les plus pauvres. Quand je refuse, il perd le contrôle et sa patience, il finit par fuir. Merci pour les informations, mais faut pas pousser. Je veux bien être pigeon mais si je dois acheter du bois, je ne lui donnerai jamais directement l’argent.

A la tombée de la nuit, je retrouve deux frangins rencontrés dans le train en provenance de Kajuraho. Sympa et sans prise de tête, ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau, au point d’en faire des jumeaux pour relever un nouveau défi ? Il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas au risque de me noyer dans le Gange. Nous marchons le long des berges ou les feux continuent de brûler sans répits. Les corps arrivent sans cesse, j’ai arrêté de les compter (jusqu’à 150/jour sur le ghâts au pied de mon hôtel). En bon français, cette escapade nous met en retard pour le concert de musique traditionnelle que nous avions prévu de voir. Alors pour se rattraper, nous déambulons dans les ruelles sombres et malfamées de la ville à la recherche d’une bière que nous trouvons beaucoup trop facilement dans une ville sainte. Assis sur le toit de mon hôtel, dans un humour noir typiquement français, nous buvons l’amertume de ces gens impatients de rejoindre le Nirvana.

DSC02587« Il est cinq heure, Vârânasî s’éveille ! »

DSC02605 [800x600modif]Ah non ! Cà ne marche pas, Vârânasî ne dort jamais comme ces chiens qui hurlent à la mort. Avec les deux français nous embarquons pour un tour de bateau sur le fleuve dans l’espoir d’observer les ghâts s’illuminer, les pèlerins se baigner et le soleil se lever. A l’aide d’une petite bougie fleurie, nous mettons le feu au Gange… nous sommes bénis ! Mais la déception est là, l’expérience n’est pas très chouette et la quantité de barque rend l’aventure totalement inconfortable et impersonnelle. En même temps, c’était totalement absurde de ma part d’espérer trouver une expérience intimiste en Inde.

Malgré la présence permanente des corps inertes sur les berges, je n’en perds pas mon appétit… un petit déjeuner à l’indienne (c’est-à-dire frugal) et une sieste matinale me requinquent pour la journée… avant d’être réveillé par des applaudissements ! Pendant que des morts brûlent, que des familles préparent le bois pour l’un de leur proche, que les corps des défunts sont nettoyés, au même moment se déroule une course d’aviron sur le Gange. Les cris d’encouragement couvrent le crépitement des flammes dans un spectacle grandiose et décadent comme seul l’Inde est capable d’en offrir.

DSC02674 [800x600modif]A peine remis de mes émotions, je suis effaré devant la foule d’indien qui débarque dans mon hôtel. Je sens que les chiens gueulant toute la nuit seront accompagnés des hurlements familiaux typiques des habitants de l’ancienne colonie anglaise. C’est une expérience prenante que d’observer une famille indienne arriver en masse dans un établissement… au point d’en perdre la notion du temps… Une fois de plus avec Nico et Matt (les deux frères français), nous sommes en retard pour la leçon gratuite de Yoga. Pour oublier cet échec, nous partons à la recherche du Blue Lassi dans la vieille ville. C’est un combat de tous les instants car la rue principale est fermée à cause d’un festival « musulman ». Dans leur rang, personne n’est capable de parler anglais pour nous expliquer le sens de cette manifestation. Je réalise à ce moment là que dans ce pays les musulmans sont souvent mis à l’écart et plus pauvre que les hindous. Dans mon esprit, çà restera les habits blancs contre les noirs qui se font face dans une parade violente. D’Istanbul à Delhi, je suis toujours abasourdi par la puissance des mots du prêcheur. Après un Lassi, chocolat-coco, fidèle à sa réputation, nous troquons un festival musulman pour retourner à la folie des croyances hindoues. Sur les quais de Vârânasî, entre les vendeurs de marijuana, les masseurs de paumes, les corps qui brûlent, les émotions dansent pour une énième prière en l’honneur du Gange. Allumez le feu ! Faites sonner les cloches !

La soirée est bon enfant dans le reculé et calme hôtel des français. Nous jouons aux cartes (Les frangins, si vous vous rappelez le nom du jeu indien, je suis preneur), échangeons quelques conseils plus ou moins judicieux pour la suite du voyage. Les heures défilent, les canettes de bières aussi. Je me trouve enfermé dans une prison dorée. Tout le monde dort et je suis bloqué à l’intérieur. Mais comme un cadeau de la providence, un matelas traîne sur le balcon… A ta santé Ganga !

// Les cheveux qui font mal, c’est le temps des « au revoir ». J’enfile de nouveau ma tenue de voyageur solitaire pour rejoindre une gare où mon train en direction de Calcutta n’apparait sur aucune plateforme. Dans la ville sainte, les écrans de fumée de la spiritualité indienne, ne m’auront pas cachés les jolies rencontres ! Nico, Matt, bon vent à vous !

Varanasi:

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Mardi, mars 11th, 2014
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Inde.
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6 Comments to “Y a le feu sur le Gange !”

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@Angel la trekkeuse de ABC ;) : De l’énergie, çà n’est pas ce qui manque en Inde, et il en faut pour survivre ! Malgré la pollution permanente, les couleurs des saris sont toujours une merveille pour les pupilles !
A très bientôt, pour une nouvelle marche vers les sommets ! ;-)
Bises

mars 14th, 2014
Kassé

Que de belles photos, rien qu’en les regardant, on ressent l’énergie de ces lieux et que de belles couleurs; Magnifique et émouvant. Bises , à bientôt

mars 14th, 2014
Angel la trekkeuse de ABC ;)

@Stef: Salut Stef!
J’ai bien reçu ton mot… La suite va arriver très vite, et çà ne manque pas de piquants et d’aventures dans les rues de Calcutta ;-)

A Bientôt

mars 12th, 2014
Kassé

@Nico & Matt: Salut les Gars!
Merci pour les encouragements, et votre mémoire infaillible à propos des jeux de cartes! ;-)
Pour l’écriture, çà n’est pas le courage qui me manque, mais le temps, vous en avez fait les frais également, la Thaïlande est un pays chronophage. :-P

Prenez soin de vous dans le merveilleux pays qu’est le Laos (un des mes grands coups de cœur). Petit conseil sur votre route du Sud, ne manquez pas le plateau des bolovens et notamment le village de Tad Lo.

A bientôt !

mars 12th, 2014
Kassé

Salut Kevin, toujours aussi captivant.
On en veut encore……

Courage à toi pour la suite de ton périple.

mars 11th, 2014
Stef

Un superbe article, encore une fois ! Comme le dit ton pote sur facebook ne te décourage pas de tenir à jour ton blog et tant pis pour le retard accumulé c’est normal ! On s’est bien marré en ta compagnie et ravi d’avoir pu t’accueillir dans « notre prison dorée » pour la dernière nuit ! (au moins cela t’auras évité le doux fumet du ghat au petit matin). Et le jeu de carte c’était bien sûr le « Shit Hand » ! :-)

Bonne route à toi, nous sommes au Laos, demain nous partons de Vientiane avec nos petites motos direction le sud !

BON VENT !

mars 11th, 2014
Nico & Matt
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